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Démantèlement des campements à Montréal : une pratique déshumanisante

1er juin 2021- Le 3 mai dernier, les représentants du Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) sont intervenus au campement du Boisé Steinberg pour expulser les personnes qui s’y étaient rassemblées. Lors d’un point de presse tenu en marge de cette intervention, Nathalie Goulet, responsable de l’itinérance au comité exécutif déclarait : « On ne peut tolérer la présence de campements organisés sur le territoire de la ville de Montréal. » La Ville choisit donc de continuer à jouer au chat et à la souris avec les personnes en situation d’itinérance et d’investir massivement dans des interventions policières coûteuses plutôt que de mettre en place des stratégies pour réduire les risques et renforcer les facteurs de protection dans les campements. Il est étonnant de voir que quelques mois après le fiasco du démantèlement du campement Notre-Dame, la Ville maintient une politique déshumanisante, et ce, pendant la pire pandémie depuis près d’un siècle. En pleine crise du logement, il serait plus pertinent de reconnaître les besoins pour mieux y répondre et d’identifier les failles structurelles dans notre offre d’hébergement que d’imposer des solutions unilatérales aux personnes qui ne peuvent se loger.

L’engagement de la Ville d’accélérer le rythme de construction de logements sociaux est louable, tout comme son ouverture à financer des projets novateurs qui répondent aux besoins des populations les plus difficilement logeables. Toutefois, même en investissant massivement, ces projets mettront plusieurs années avant de sortir de terre. La quantité d’hébergements accessibles et adaptés aux réalités des personnes ne sera pas suffisante pour répondre à l’ampleur des besoins à court terme. Il nous apparait donc illégitime de démanteler ces milieux de vie temporaires tant que nous n’aurons rien d’autre à offrir que des places en refuge.

Ces démantèlements répétés ont des impacts sur les personnes y résidant. En plus des effets collatéraux engendrés par ces déracinements successifs, elle met à risque la santé des campeur·ses qui se cachent toujours plus loin et s’isolent sans cesse davantage. Pourtant, l’emplacement du campement au Boisé Steinberg avait été déniché pour « éviter de déranger », à l’écart des milieux résidentiels et de la visibilité publique. Une adresse avait été apposée afin de faciliter le repérage en cas d’urgence, des extincteurs étaient à disposition en prévention des incendies et du matériel de prévention des surdoses était disponible sur place. En pleine crise des surdoses où une moyenne de 47 décès par mois associés à une intoxication suspectée aux drogues a été dénombrée entre mai et décembre 2020 au Québec selon l’INSPQ, contrecarrer ces formes d’organisation constitue une position irresponsable des autorités. Les démantèlements limitent aussi la capacité des organismes à venir en aide aux personnes. Ces lieux informels constituent des points de repère pour les équipes d’intervention, comme la nôtre, qui offrent un soutien pragmatique aux campeur·ses.

Depuis maintenant plus d’un an, la COVID-19 nous force à revoir nos priorités individuelles et collectives. Elle a contribué à exacerber les inégalités socioéconomiques et sanitaires. Il est évident que la présence des campements crée un malaise chez plusieurs. Ils nous confrontent à notre propre inaction en matière de lutte à la pauvreté et aux écarts de richesse dans nos sociétés modernes. Toutefois, essayer de cacher le problème ne le règlera pas et ne fera que le déplacer. Il s’agit d’une solution facile et insatisfaisante à un enjeu complexe qui nécessite une approche novatrice et adaptée. En attendant que des solutions pérennes soient mises en place, tolérer les campements en milieu urbain nous apparait comme un moindre mal qui assurerait le respect de la dignité des personnes qui choisissent de s’y établir.

Sylvie Boivin, Directrice générale de L’Anonyme

Julien Montreuil, Directeur adjoint de L’Anonyme